La justice vient d’interdire la publication par Inside Editions de la liste des victimes de Jordan Belfort, plus connu sous le nom de Loup de Wall Street. Étonnamment, ces personnes escroquées une première fois seraient plus vulnérables à une seconde arnaque.

« Atlantico : Le juge fédéral en charge de l’affaire Jordan Belfort a refusé au site d’informations américain Inside Editions la publication de la liste des victimes du Loup de Wall Street. Quelles sont les raisons précises de son refus ? »

Eric Alligné : Le juge fédéral de la Cour de Brooklyn a refusé la publication d’une liste de 1 300 victimes du désormais célèbre « Loup de Wall Street » en avançant, je cite la Cour, que cette « liste de pigeon » (sucker lists) serait susceptible d’être exploitée par d’autres escrocs.

Cette diffusion publique créerait, ainsi, un possible préjudice pour lesdites victimes en les révélant comme de potentielles cibles pour d’autres escrocs financiers. En effet aux États-Unis, pour les organismes de protection de consommateurs ou de protection des personnes âgées, tels la puissante AARP (American Association of Retired Persons), la recherche de victimes potentielles d’escroqueries financières va du faux séminaire aux spams et autre phishing en passant bien évidemment par la voie royale d’une liste de victimes déjà éprouvées.

Benjamin Lubszynski : Cette liste peut tout simplement tenter d’autres escrocs étant donné qu’elle contient le nom de personnes déjà arnaquées et donc supposément plus fragiles que la moyenne à la manipulation. De plus, ces personnes peuvent par la suite être exposées à des problèmes plus concrets comme le regard des autres, l’image de victime n’étant pas très valorisante. Elles peuvent également se retrouver solliciter à outrance par les médias, ce qui n’arrangerait en rien leur situation.

« Les victimes ne sont-elles pas supposées être plus vigilantes du fait de leur première escroquerie ? Comment les escrocs profitent-ils une seconde fois de leur faiblesse ? »

Eric Alligné : Les autorités américaines justifient ces décisions de limiter la diffusion publique d’information par la possibilité de customisation, de personnalisation, augmentant la confiance de la cible désignée déjà fragilisée. Ainsi, par exemple, les victimes du montage financier de Bernard Madoff, connu sous le nom du “système de Ponzi”, ont été la cible d’un autre escroc leur promettant une indemnisation partielle de leurs pertes en échange de divers documents comptables et légaux.

Selon certains experts américains comme la Securities Investor Protection Corporation, la personne victime d’une escroquerie financière de haut vol serait donc, même si cela peut paraître surprenant, susceptible d’être abusée de nouveau et donc extrèmement vulnérable.

Benjamin Lubszynski : Une partie de ces victimes tireront une leçon de cette première arnaque, mais il est tout à fait possible que cette « naïveté » – si l’on peut dire les choses ainsi – fasse partie de leur personnalité. Par conséquent, il arrive que certaines personnes se fassent à nouveau avoir et ce, parfois sur des sommes considérables. Pour quelqu’un de malhonnête, ces victimes sont quoi qu’il arrive intéressantes à exploiter. On sait qu’elles ont déjà pu être manipulées et il n’est pas rare de constater que suite à cette première arnaque, elles se trouvent dans une situation psychologique très difficile. Par conséquent, les escrocs n’hésitent pas à utiliser le même type d’arnaques, parfois avec des variantes. Ce sont des arnaques principalement financières, mais cela peut aller jusqu’à la manipulation émotionnelle.

« Existe-t-il un profil type des victimes de ce type d’escroquerie ? D’où leur vient cette faiblesse psychologique ? »

Eric Alligné : Nous parlons, ici, d’escroqueries financières portant en général sur des sommes conséquentes. Nous sommes dans le domaines des investissements, des actions et des placements financiers. Ceux-ci sont proposés à des personnes aisées souvent à la recherche de placement hautement rémunérateurs ou à des personnes âgées donc plus vulnérables. Pour ces dernières, nous sommes, c’est vrai, parfois au bord de l’abus de faiblesse. Mais je ne sais pas si l’on peut parler de “faiblesse psychologique” : En effet, il ne faut pas oublier que ces “Jordan Belfort” qui contactent des victimes potentielles sont, depuis longtemps, passés maîtres dans l’art de “vendre” leurs soi-disant placements et montages financiers.

Benjamin Lubszynski : Plusieurs profils se distinguent. Il s’agit souvent de personnes qui ne connaissent pas forcément les techniques de manipulation, manipulation qui – ne l’oublions pas – peut concerner n’importe qui. Les victimes peuvent également avoir péché par excès de naïveté et manque de cynisme. Ces personnes se font en effet avoir car elles ne pourraient faire du mal aux autres et ont du mal à concevoir un monde différent de leur image, c’est-à-dire que selon elles, les gens ne peuvent qu’être bons. L’explication de cette manipulation peut aussi tout simplement venir d’un manque de confiance en soi et d’une tendance à survaloriser l’interlocuteur. Si on leur promet quelque chose d’incroyable par le biais d’affirmations, elles auront tendance à obtempérer tout simplement parce qu’elles n’ont pas une image assez forte. On parle alors de narcissisme pas assez développé.

« Quelles conséquences une telle arnaque peut-elle avoir sur la psychologie des victimes ? Et si elles se font arnaquer une deuxième fois ? »

Benjamin Lubszynski : La première arnaque va souvent être vécue comme une sorte de deuil. La victime va en effet faire le deuil d’une opportunité formidable. Elle s’imaginait pouvoir gagner beaucoup d’argent et va finalement se retrouver avec une somme conséquente en moins. Cela demande donc un véritable temps d’adaptation pour accepter cette situation. Et ce temps, au même titre que les sept étapes du deuil, va commencer par une phase de choc, puis de déni, de colère et de marchandage intérieur, de tristesse, de résignation, d’acceptation puis de reconstruction. En parallèle, vont se développer également de nombreuses dépressions, un manque de confiance et un sentiment d’insécurité.Lorsqu’il s’agit de la deuxième arnaque, on assiste alors à une véritable remise en cause. Lors de la première fois, on peut accuser le sort mais la deuxième, on ne peut que s’accuser soi-même. Cette remise en cause personnelle s’avère généralement très profonde, douloureuse et coûteuse.

« Existe-t-il également un profil type d’escroc ? »

Benjamin Lubszynski : Oui, tout à fait. En psychologie, on parle de manipulateur, tandis qu’en psychothérapie, on parle plus de pervers narcissique – pervers car ces personnes cherchent à faire du mal et narcissique car leurs actions sont constamment centrées autour de leurs propres besoins.Il s’agit de personnes profondément égoïstes, qui n’ont absolument aucune empathie pour les autres, qui n’en ont que faire. Elles sont centrées autour de leur besoin personnel immédiat. Elles cherchent souvent à arnaquer tout de suite maintenant par le biais de techniques qui sont toujours les mêmes, à savoir la culpabilisation, l’intimidation, les rêves illusoires. Par ailleurs, ces personnes ne sont pas aptes à la remise en cause et récidivent souvent malgré les sanctions juridiques déjà encourues.

« Les Etats-Unis semblent se diriger vers un renforcement de la protection juridique des victimes, et notamment de leur vie privée. Comment cela s’explique-t-il et se manifeste-t-il ? »

Eric Alligné : Oui, la loi américaine comme les juges américains, assurent, dans un certain nombre états, aux victimes de crimes et de délits une protection de leur vie privée par un anonymat imposé tant à la police que pendant le procès. Ainsi par exemple, le nom et a fortiori l’image d’une victime de viol ne seront pas rendus publics.

Cette protection de l’identité des victimes intervient souvent dans les cas de violences faites aux femmes ou aux mineurs.

Mais ce système juridique s’adapte à n’importe quelle victime si elle en fait la demande en Cour et si cette demande est justifiée. Au nom du droit à la la vie privée, le juge limitera donc la liberté d’information. Nous sommes donc dans un cas classique de conflit de deux libertés fondamentales: limitation de la liberté de diffusion publique d’information au profit du droit au respect de la vie privée de la victime.

« En France, quelle est la loi relative à l’identité des victimes, notamment d’escroquerie ? Devrait-elle être réformée ? »

Eric Alligné : II n’existe pas à proprement parler une loi relative à l‘identité des victimes d’escroquerie. Dans notre système légal, c’est le respect de la vie privée posée par l’article 9 du Code civil qui sert de base à la protection de l’identité des victimes. Pour des diffusions publiques dans la presse d‘images ou d’information concernant les victimes, les juges vont toujours se poser la question de savoir si cette diffusion publique est “justifiée par les nécessités de l’information”. Comme cela a du être fait devant le juge de Brooklyn, les victimes d’escroquerie devront demander au juge, et ce au nom du respect de leur vie privée, la non divulgation de leurs identités, ou alors fuir les caméras comme dans l’affaire Hamon en Touraine.

En conclusion, le droit français comme le droit américain verront s’opposer, dans certains cas, respect de la vie privée et liberté d’expression et d’information.

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